A l’occasion du 5ème anniversaire des Objectifs de développement durable (ODD), nous partageons des initiatives d’OSC qui contribuent de manière efficace et innovante à la réalisation de ces objectifs. Cette semaine, l’ODD15 : vie terrestre.
Aujourd’hui l’humanité fait face à deux grandes menaces pour son existence : le changement climatique et la sixième extinction de masse. Les activités humaines sont les principales raisons de ces changements, de par le rejet de gaz à effet de serre pour le climat, l’urbanisation et la démographie croissante, les diverses pollutions et l’utilisation intensive de ressources naturelles. Ainsi, depuis plusieurs années les écosystèmes naturels diminuent et s’appauvrissent ce qui engendre de nombreux problèmes socio-économiques pour chacun et chacune de nous.
Au Sénégal, le changement climatique est une menace réelle dont les impacts négatifs se font ressentir au quotidien. La pluviométrie a baissé d’environ 300mm en 30 ans, et les pluies sont de plus en plus intenses et de courte durée, entraînant des dommages pour les cultures et une mauvaise irrigation naturelle. La montée du niveau de la mer érode les côtes, endommage les marais marins que sont les mangroves et salinise les nappes phréatiques et les deltas. La température moyenne annuelle a augmenté de 1,7°C en 30 ans et la désertification avance, réduisant ainsi les terres arables et les zones de pâturages.
À ces défis climatiques et environnementaux, s’ajoutent les problèmes de corruption, de braconnage et d’exploitation intensive des ressources naturelles. Les écosystèmes et les forêts sont devenus particulièrement vulnérables et n’ont plus les conditions nécessaires pour se régénérer naturellement chaque année. Les populations locales sont souvent trop pauvres pour utiliser des énergies transformées et doivent utiliser le bois qu’elles trouvent autour de leurs habitations pour cuisiner. Ces divers facteurs expliquent le phénomène de déforestation, accentuant de fait la dégradation des sols et la raréfaction des ressources alimentaires.
La forêt est ainsi partitionnée en zones d’exploitation. Ces zones sont exploitées en alternance, permettant ainsi de laisser au repos une partie de la forêt, le temps d’une régénérescence, afin d’éviter de mettre en danger la viabilité et la pérennité de l’ensemble.” — Thierry De Coster
La Réserve de Biosphère du delta du Sine-Saloum
Ces phénomènes sont particulièrement visibles dans la Réserve de Biosphère du delta du Sine-Saloum à l’ouest du Sénégal, proche de la frontière avec la Gambie. Sine et Saloum étant d’anciennes vallées inondées par la mer, les courants marins pénètrent dans le delta, salinisant considérablement les eaux. Dans ces conditions de salinité, seuls les arbres de mangroves (palétuviers notamment) sont adaptés pour vivre aux abords immédiats du delta. Dans cette zone, 80% des ménages utilisent le bois et le charbon comme principale source d’énergie. La pauvreté et la corruption alimentent la surexploitation des ressources, entraînant une plus grande déforestation, bien que cette zone soit protégée. Les causes de cette déforestation ainsi que ses solutions sont donc systémiques.
Avec le soutien financier de l’Agence Wallonne pour l’Air et le Climat (AWAC), depuis plusieurs années, un partenariat lie ULB-Coopération et l’ONG sénégalaise Nébeday pour lutter contre la déforestation et promouvoir une gestion durable des forêts humides (mangroves) et sèches de cette région. « Dans ce contexte de pauvreté, de sécheresse et de déboisement, notre objectif est de contribuer à l’atténuation et à l’adaptation aux changements climatiques par la lutte contre la déforestation. Il s’agit de reboiser en exploitant de manière rationnelle, optimale et durable la biomasse des forêts au bénéfice des populations limitrophes » explique Thierry De Coster, chargé de ce projet pour ULB-Coopération.
Afin de restaurer et de renforcer la résilience de cet écosystème, le projet vise à reboiser durablement des forêts continentales et des mangroves, à diminuer la pression anthropique sur les ressources ligneuses, et à consolider les capacités techniques et institutionnelles en matière d’environnement en impliquant les populations et autorités publiques locales. « Dans un premier temps, des inventaires de l’ensemble des ressources forestières ont été réalisés, suivi de Plans d’Aménagement et de Gestion (PAG) afin de déterminer les quantités de produits forestiers ligneux et non-ligneux à exploiter sans surexploiter », décrit Thierry De Coster. « La forêt est ainsi partitionnée en zones d’exploitation. Ces zones sont exploitées en alternance, permettant ainsi de laisser au repos une partie de la forêt, le temps d’une régénérescence, afin d’éviter de mettre en danger la viabilité et la pérennité de l’ensemble. »
Dans le but de prévenir une utilisation non-durable de bois de chauffe, ces deux organisations ont mis en place un système de production et de vente de charbon de paille comme alternative au charbon de bois et à un prix abordable. Elles développent des fours à haut rendement diminuant ainsi le besoin en matériaux combustibles. Un projet de foyers professionnels est également en développement pour permettre la fumaison des poissons afin d’accroître leur conservation en diminuant les quantités de bois et en même temps les quantités de gaz à effet de serre émis dans l’atmosphère.
Mobilisation et synergie
Ces divers projets ne pourraient pas aboutir et avoir de quelconques effets positifs sur les écosystèmes locaux sans l’adhésion des populations locales. « Pour cela, nous mettons en place des comités villageois et inter-villageois, favorisant ainsi l’appropriation des nouveaux modes de gestion d’exploitation forestière. Nebeday forme les éco-gardes dans les différents aspects de leur travail : gestion, planification participative, législation spécifique, techniques de coupe, collecte des données, équipements, etc. », rapporte Thierry De Coster. Les partenaires mettent aussi en place des actions de reboisement, organisent un système de surveillance et de lutte contre les feux de brousse, et se chargent de poser des panneaux signalétiques et de baliser les blocs et les parcelles.
Ce programme de reboisement et de restauration d’écosystème communautaire permet non seulement de lutter contre le changement climatique mais aussi de s’y adapter, de prévenir les risques et dommages liés aux conditions climatiques plus extrêmes et instables. L’implication des communautés et des autorités locales a eu comme bénéfice direct de préserver certaines sources de revenus tout en diminuant le besoin en ressources naturelles. De ce fait, l’accroissement de la résilience des écosystèmes a déjà permis de protéger les conditions de vie et d’habitat de la faune et de la flore, renforçant ainsi la biodiversité, tout en couvrant les besoins des habitant·e·s.
Au Sénégal, en Belgique et partout ailleurs la protection et la restauration des écosystèmes comme moyen de préserver des conditions de vie optimales et comme moyen de lutter contre le changement climatique en stockant le CO2 excédentaire dans l’atmosphère convainc de plus en plus. C’est devenu une priorité du gouvernement belge dans sa politique de coopération internationale au développement qui souhaite accroître ces projets dans sa prochaine période de programmation débutant en 2022.
Pour cela, quatre organisations belges, BOS+, CEBioS, Join For Water et WWF Belgique, rejoints par Via Don Bosco et UNI4COOP [1] ont rédigé un Cadre stratégique commun (CSC) qui couvrira leurs futurs programmes pour la période 2022-2026. L’axe principal est la résilience des systèmes socio-écologiques et l’utilisation durable des services écosystémiques qui contribueront à améliorer le bien-être des communautés locales. Comme le montre le schéma ci-dessous du Stockholm Resilience Centre, une biosphère saine est une condition préalable à un développement social et économique durable.
[1] Eclosio (ONG de l’Université de Liège), la FUCID (ONG de l’Université de Namur), Louvain Coopération (ONG de l’Université catholique de Louvain) et ULB-Coopération (ONG de l’Université libre de Bruxelles) unissent leurs forces dans la réalisation de nombreux projets, au Sud comme au Nord, sous le nom d’Uni4Coop.
Les humains font partie intégrante des écosystèmes naturels, c’est pourquoi ces derniers doivent être conçus comme un seul système socio-écologique. Il est vital de maintenir l’intégrité de la biosphère à des niveaux acceptables afin de préserver le système terrestre dans un espace opérationnel sûr pour l’humanité” — Nima Raghunathan
« Les humains font partie intégrante des écosystèmes naturels, c’est pourquoi ces derniers doivent être conçus comme un seul système socio-écologique. Il est vital de maintenir l’intégrité de la biosphère à des niveaux acceptables afin de préserver le système terrestre dans un espace opérationnel sûr pour l’humanité » explique Nima Raghunathan du WWF Belgique. Elle ajoute que « face aux défis climatiques et environnementaux actuels et à venir, il est primordial à la fois de réduire au maximum nos impacts sur les écosystèmes et de les rendre les plus résilients possibles pour qu’ils puissent s’adapter et résister à ces nouvelles conditions, et pour qu’ils continuent de fournir leurs services vitaux entre autres à nous, humains ».
Ce CSC permettra ainsi à plusieurs OSC de collaborer plus activement ensemble et avec d’autres acteurs du développement et les populations locales pour mieux sensibiliser, pour changer les pratiques et politiques existantes, pour mener davantage de recherche et de développement de solutions. Cela afin d’accroître la complémentarité de leurs actions et le renforcement mutuel de leurs capacités. C’est un changement de paradigme indispensable à poursuivre pour rendre le développement réellement durable.