Le monde est traversé par de profondes mutations qui débouchent notamment sur la montée des replis identitaires, du nationalisme et de la xénophobie, dont les principales cibles sont les migrants. Dans le même temps, les initiatives citoyennes de rencontres se multiplient et refusent au quotidien un discours qui opposerait un “nous” imaginaire à un “eux” tout aussi fictif. Quelles sont les principales pistes proposées par les Assises Citoyennes sur les migrations ?
Ce n’est pas une crise migratoire à laquelle nous faisons face, c’est une crise d’humanité
Des dizaines de milliers de personnes ont perdu la vie au cours des deux dernières décennies aux frontières de l’Europe. Rien qu’en 2016, plus de 5.000 personnes sont mortes en mer Méditerranée ; un record absolu alors que l’Europe était censée prendre des mesures pour stopper les morts aux frontières. Des centaines de milliers de personnes qui ont fui les conflits, les persécutions et la misère croupissent dans des camps dans des conditions innommables, en dehors de l’Europe ou en son sein, dans l’attente d’une protection internationale. Mais l’Europe n’entend pas leur offrir de perspectives ; au contraire, elle cherche par tous les moyens à les empêcher d’arriver.
Nous serions “envahis”, ils seraient “toute la misère du monde”, ils seraient “une menace” ; or de nombreuses études démontrent le contraire. Les migrants en Europe sont loin d’être si nombreux : l’Europe n’accueille que 6% des réfugiés dans le monde, neuf sur dix résidant dans les pays en développement. Les migrants sont également loin de représenter “toute la misère du monde” : les personnes migrantes sont des femmes, des hommes, des enfants de toutes origines et de toutes conditions sociales, parfois hautement qualifiés. Certaines ont choiside migrer, d’autres y ont été forcées. Les causes des migrations sont multiples. Mais, contrairement à une idée fausse, les migrations ont généralement un impact positif sur les économies des pays d’accueil. Le dumping social n’est par ailleurs pas lié aux migrants eux-mêmes, mais à la course au moins-disant social engendrée par un modèle économique fondé sur la compétition de tous contre tous, et dont les migrants privés de droits sont les principales victimes. La directive sur le détachement des travailleurs en Europe en est un exemple frappant. Censée aider à la mobilité temporaire des travailleurs européens, elle est devenue en 20 ans un instrument de dumping social entre travailleurs qui, à travail égal, n’ont pas de salaires égaux, ni de cotisations sociales semblables. Quant à notre sécurité, il ne faut pas confondre politique migratoire et lutte contre le terrorisme. Les discours qui font l’amalgame entre migrants et terroristes islamistes ne font que nourrir le récit de l’État islamique, qui cherche à démontrer que les populations musulmanes ne sont pas les bienvenues dans les pays occidentaux.
Enfin, notre “identité”, quelle qu’elle soit, ne peut certainement pas être garantie par des mesures qui nient les valeurs fondatrices de nos démocraties occidentales, ces valeurs mêmes qui représentent le socle des droits humains universels. Pourtant, la peur de l’autre reste le moteur des politiques migratoires exclusivement abordées dans une logique sécuritaire, au prix de violations graves des droits humains sur lesquels repose pourtant notre système de valeurs.
Proposer la Justice migratoire
Réunis à l’initiative du CNCD-11.11.11 en 2018 pendant 6 assises dans toutes les provinces francophones de Belgique, citoyens et citoyennes ont réfléchi à proposer un nouvel horizon politique. Loin d’être une fatalité, le repli sur soi peut être combattu par des propositions positives autour de la Justice migratoire, qui allie la mise en place de voies sûres et légales de migration et le refus de la mondialisation débridée, celle-ci favorisant le dumping social dont les migrants et les citoyens sont les perdants.
Lutter contre les inégalités pour que chacun puisse vivre décemment là où il le souhaite
Personne ne choisit là où il naît. Chercher une vie plus digne, que ce soit parce qu’on fuit la guerre, les persécutions ou le manque de perspectives économiques, est une évidence pour celles et ceux qui le vivent au quotidien. Les inégalités sociales poussent aussi de nombreux migrants à chercher ailleurs ce qu’ils ne peuvent trouver chez eux. Ces inégalités sociales galopantes dans le monde sont aussi le produit de notre histoire et des mécanismes économiques à l’oeuvre entre les pays du Nord et les pays du Sud. Comprendre notre histoire coloniale, notre passé, et mesurer l’impact des politiques européennes qui ne font qu’augmenter les inégalités dans les pays du Sud est l’une des étapes indispensables. Cela demande de négocier des accords commerciaux justes et de construire une justice fiscale internationale comme l’un des préalables en vue de réduire les inégalités, d’assurer à chacun un revenu digne et de permettre aux pays de bénéficier de ressources pour définir leurs politiques publiques. La lutte contre les inégalités sociales implique ainsi une meilleure répartition des richesses en garantissant la satisfaction des besoins de toutes et tous. Les conventions internationales relatives aux droits humains doivent devenir contraignantes, avec des sanctions appropriées en cas de non-respect. Le renforcement des juridictions en charge des droits humains doit devenir une priorité. On ne peut pas non plus oublier les inégalités sociales liées au genre ou à la diversité, qui ne permettent pas à tout un chacun de participer à la vie sociale et politique de manière équitable. Accepter la diversité, qu’elle soit de genre, de religion ou d’origine, renforce nos sociétés plutôt qu’elle ne les appauvrit. Vivre en paix exige également la fin du commerce des armes, qui alimente les conflits partout dans le monde. De même, vivre dignement là où on le souhaite exigera aussi de veiller à respecter le droit à l’alimentation au Sud et de stopper toute spéculation sur les denrées alimentaires.
Promouvoir des voies d’accès sûres et légales et mettre fin à la violence aux frontières
Étant donné la place des flux migratoires dans l’Histoire, nous décidons d’inverser la logique de nos politiques migratoires, de sortir de l’Europe-forteresse et d’envisager l’ouverture des frontières comme horizon politique et éthique. Sortir complètement d’une gestion sécuritaire et inhumaine des migrations exige a minima de respecter les engagements actuels sur les voies légales existantes. L’Europe devrait permettre l’accès à des visas courts séjours permettant une plus grande migration circulaire. La Belgique devrait accorder des visas humanitaires sur base de critères objectifs et transparents, plutôt que l’actuelle décision laissée à la discrétion du pouvoir exécutif. Il faut revoir définitivement le règlement de Dublin au profit d’une véritable politique européenne d’asile et de migration fondée sur la coopération et la solidarité. La régularisation des sans-papiers devrait par ailleurs s’opérer selon des critères clairs et permanents. Les accords de la honte, liant l’Union européenne et des pays tiers tels que la Turquie, ainsi que les négociations avec la Lybie doivent cesser : l’aide publique au développement ne peut être instrumentalisée et détournée du financement des Objectifs de développement durable.
Instaurer l’égalité des droits pour toutes et tous & renforcer le vivre-ensemble
C’est au travers d’actions complémentaires que pourra s’instaurer un véritable vivre-ensemble. Le vivre-ensemble est conditionné par une vision à double sens où les rencontres sont centrales et soutenues. En termes de politique publique, cela nécessite une vision globale avec des dispositions à prendre en matière d’enseignement, de logement, d’emploi, de formations… En termes d’emploi, l’équivalence de diplômes et des qualifications devrait être facilitée pour que chacun puisse trouver un emploi en cohérence avec ses qualifications. Cela demande de s’atteler aussi à la prévention des discriminations à l’embauche. Le parcours d’intégration devrait être renommé “parcours d’accueil” avec un parrainage citoyen. Les cours de français doivent y être renforcés. D’un point de vue politique, le droit de vote des étrangers installés depuis longtemps en Belgique devrait être rediscuté afin d’élargir la participation politique. Enfin, chaque citoyen peut à son échelle favoriser la rencontre et l’accueil. Nous pouvons tous oser l’action personnelle, par exemple en participant aux initiatives locales solidaires.
Lutter contre les amalgames & les préjugés
La sensibilisation aux préjugés sur les migrations passe par l’éducation et la sensibilisation formelle – via les écoles – ou non formelles – via les ONG et mouvements associatifs (Découvrez notamment l’outil développé par le CEC ONG présenté sur Youmanity). S’il est important de travailler dans les écoles, il ne faut pas pour autant négliger les entreprises, les services publics et les lieux de rencontre. L’objectif est de donner une information juste et étayée à tous les citoyens au sujet des migrations. La sensibilisation doit se faire dans un cadre respectueux et ouvert aux peurs et au vécu des personnes. Lutter contre les amalgames ne passera pas sans les rencontres sociales et l’émergence de moments formels et informels propices aux échanges et à la connaissance mutuelle. Il est nécessaire de rappeler l’histoire des migrations en Belgique. La sensibilisation passe tant par les médias, les organisations de jeunesse, les associations et l’enseignement que par le monde politique. En conclusion des Assises, nous réaffirmons qu’il n’est plus temps d’être pour ou contre les migrations ; il est urgent de les considérer comme un phénomène humain, celui-là même qui nous a permis de subsister jusqu’à aujourd’hui. Il est nécessaire que chacun réclame une réelle Justice migratoire, dans le respect des conventions signées par les pays européens qui, aujourd’hui, semblent avoir la mémoire courte.
CE TEXTE EST LE RÉSULTAT D’ASSISES CITOYENNES ORGANISÉES DANS CHAQUE PROVINCE DE BELGIQUE FRANCOPHONE EN 2018. Publié dans le FOCUS Migrations par la FUCID.
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