Elle est belgo-béninoise, « ou bénino-belge, sourit-elle, c’est selon ». Née en Belgique, Cécile Quénum n’a pas connu le Bénin, petite. Aujourd’hui, chaque fois qu’elle quitte son deuxième pays d’origine, c’est un déchirement.
Qui est-elle ?
Cécile Quenum est une photographe spécialisée dans le portrait. Son parcours professionnel et personnel l’a amenée à photographier des personnes très différentes et dont la beauté répond rarement aux critères usuels de notre société.
Ganvier, Lac Nokoue à proximité de Cotonou. © Cécile Quenum – Iwaria.
« Mon père et ma mère se sont rencontrés en Guinée et j’y ai vécu de 0 à 2 ans. Ensuite, j’ai grandi à Bruxelles, entourée de ma famille belge. Cette origine béninoise ne me questionnait pas. Les rares fois où j’ai vu mon père, il ne m’en a pas raconté grand chose. Il a passé toute sa vie à Conakry…», explique-t-elle.
Cécile découvre la photographie vers l’âge de dix ans. Elle se passionne pour cet art et effectue des études de photographie et Cinéma. Diplômée à 20 ans, elle se lance comme photographe professionnelle et se spécialise dans le portrait. Peu après, elle effectue un voyage itinérant en Afrique de l’Ouest pour accompagner une troupe de cirque dans sa tournée : Maroc, Mauritanie, Sénégal, Mali, Burkina Fasso… « C’est à cette occasion que j’ai rencontré le père de ma fille, un percussionniste sénégalais. J’ai choisi de le suivre au moment où la troupe s’apprêtait à poursuivre sa route au Benin… ».
Revenue en Belgique avec la petite Malika, elle poursuit son métier de photographe. Son parcours professionnel et personnel l’amène à photographier des personnes très différentes et, dit-elle : « dont la beauté répond rarement aux critères usuels de notre société ». Trop grande, trop vieille, trop âgée ? Pas pour Cécile qui vise à réconcilier les femmes avec leur image. « J’aime photographier la diversité et chercher la beauté dans le regard de chacun. Je veux valoriser les personnes qui ne se trouvent pas photogéniques ». La photographe se lance également dans les photos dites “Boudoir”* et de nu artistique.
* style de photographie qui vise à mettre la femme en valeur en sublimant sa féminité, à travers l’attitude et le choix des tenues, qui sont souvent réalisées en lingerie (mais pas obligatoirement), dans un style intimiste ou sensuel.
Premier regard touristique
En 2016, sa vie va prendre un nouveau tournant au terme d’un “simple voyage touristique” dans son pays d’origine. « C’est une amie d’enfance, qui voulait effectuer un grand voyage, qui m’y a tirée. Elle visait le Bénin parce qu’elle y connaissait une filière d’écotourisme et savait que c’était aussi mon pays. Malika nous a accompagnée. Elle n’avait jamais pris l’avion et n’était jamais sortie d’Europe, c’était une aventure ! ».
« Nous avons découvert les petits villages, les producteurs de sel et les enfants courant pieds nus avec une certaine curiosité. J’ai trouvé cela chouette sur le moment mais je n’avais rien à dire à la dame qui vendait du sel. Je pensais même que j’avais eu de la chance de naître en Belgique ; j’étais contente d’y rentrer. Je voyais le Bénin comme une touriste. Au fond de moi, je me sentais plus proche du Sénégal… », commente Cécile Quenum.
Cette Afrique-là m’intéressait !
Rentrée en Belgique, elle met ses photos de voyage en ligne sur les réseaux sociaux. Celles-ci obtiennent beaucoup de likes et sont vues jusqu’au Bénin. C’est alors qu’intervient une demande émanant d’Iwaria (iwaria.com). Cette banque d’images gratuites entend véhiculer une image positive de l’Afrique. Cécile accepte de mettre ses photos à leur disposition. De fil en aiguille, des discussions s’amorcent avec d’autres photographes ainsi que des artistes et des designers béninois. « D’un coup, cette Afrique-là m’intéressait ! J’ai réalisé que ce Bénin, extrêmement intellectuel, où vivent des tas de gens dynamiques et talentueux, je ne l’avais pas rencontré lors de mon premier voyage ».
Récolte du sel au Bénin, lagune, environs de Ouidah. © Univers-Sel, Terre de Sel, Guérande. https://universsel.wordpress.com/
Un autre déclic se produit lorsque la photographe se trouve confrontée à un problème de santé. « A ce moment, j’ai décidé de vivre comme j’en rêve depuis toujours – entre la Belgique et l’Afrique – et d’exposer mes photos. » Erick-Christian Ahounou, un photo-reporter beninois renommé qu’elle connaît depuis toujours lui propose alors de participer avec lui au premier festival de photos de nu artistique à Cotonou, début 2018. Un projet tout à fait novateur qui lui apportera bien plus que des regards croisés.
Ma capacité à mettre des gens en lien fonctionne un peu partout
« Lorsque je suis repartie au Bénin, tous mes soucis de santé se sont envolés sur place. Il y a une énergie particulière là-bas par rapport à moi. J’ai eu l’impression d’être accueillie comme quelqu’un qui rentre chez soi. J’ai loué un appartement deux chambres et j’ai transformé la principale en studio photo. C’est devenu un lieu de rencontre. Je me suis arrangée pour que mon réseau virtuel de contacts devienne réel. Ça a été waouh ! J’ai été filmée par Claude Balogoun – qui se trouve être très connu au pays – et j’ignorais sa célébrité. J’ai partagé beaucoup de choses, des relations, des trucs et astuces, etc. J’ai développé des synergies artistiques , à la croisée de la musique et de la photo avec Isaac Talla, Zekiath Abogourin, Djamile Mama Gao. D’autres avec les stylistes Noukpo Gbèdjromon, Kuamba Jennifer Kuakuvi et Émelin Mome ou l’artiste plasticien Philippe Hacheme… J’étais dans mon élément. J’ai constaté que mes capacités à mettre des gens en lien fonctionne un peu partout, cela me rend heureuse ».
Quitter l’un de mes deux pays est , à chaque fois, un déchirement
L’exposition a eu du succès. « Il y a eu beaucoup de monde, les gens ont aimé. J’ai rencontré un public africain. Il n’est pas mûr pour acheter de l’art. » L’ambition de Cécile est de la faire tourner sur le continent pour montrer qu’il y a du talent en Afrique et en Europe et que ces photos trouvent leur public. « Je trouve dommage qu’on ait toujours les mêmes idées de l’Afrique, toujours les mêmes clichés de violence, de faim… Je me suis toujours intéressée à la cause des femmes. Je trouve de la beauté chez elles et je veux essayer de convaincre les Africaines de faire des séances photo “Boudoir”. »
« A titre personnel, j’ai envie de connecter et valoriser mes deux origines. Je suis fière d’être Belge et de pouvoir transmettre ces valeurs. Je suis fière d’être Béninoise et de pouvoir transmettre ces valeurs. J’ai envie d’être un pont. Ici, je suis métisse. Là-bas on m’appelle “la blanche” parce que les métisses locaux sont plus bronzés que moi (rires). La couleur de peau est une identité extérieure. Je m’en fous , je sais qui je suis. Ce qui est sûr, c’est que chaque fois que je quitterai l’un de mes deux pays, ce sera un déchirement ».
Premier Festival de Photos de Nu Artistique à Cotonou, début 2018. © Centre Culturel Artisttik Africa http://artisttikafrica.com/.
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