Les jeunes ont envie de faire bouger le monde mais ne l’expriment que quand ils·elles sont personnellement touché·es par une situation d’injustice. C’est ce qui ressort de l’enquête menée par le programme fédéral d’éducation à la citoyenneté mondiale, Annoncer la Couleur.
Une enquête auprès de 500 jeunes
Pour savoir ce qui mobilise les jeunes, quels sont leurs centres d’intérêt, leurs préoccupations, Annoncer la Couleur, programme l’Agence belge de Développement, Enabel, a commandité en juin 2019 une enquête quantitative auprès de 500 jeunes, garçons et filles, âgé·e·s entre 14 et 19 ans résidant en Wallonie et à Bruxelles. Plusieurs questions ont été posées sur les sujets ou les causes les intéressent, sur ce à quoi ils et elles accordent de l’importance, pour qui ils/elles se sentent solidaires, sur leur sentiment d’appartenance ou encore leur sentiment de pouvoir améliorer le monde.
Un constat en mi-teinte
Alors que l’on peut se réjouir de voir des valeurs altruistes, humanistes, figurer dans le top 5 des valeurs importantes pour les jeunes, celles-ci ne scorent tout de même pas très haut ; la valeur qui se place en haut du podium, à savoir le respect, n’atteint que 38 % (les jeunes devaient donner leur top 5 puis leur top 1 parmi une liste de 20 propositions).
« Je pense surtout à mon avenir, moins à l’avenir de la planète. »
Un faisceau de réponses convergent vers un même constat : les jeunes sont centrés sur eux/elles-mêmes, leur avenir et leurs proches. Cet aspect « proche de soi » est très présent dans les réponses des jeunes : ils font confiance à leur famille en premier lieu, juste avant les amis (notons une perte quasi totale de confiance dans les médias et les politiciens). Leur sentiment d’appartenance se place avant tout en tant que belge plutôt qu’en tant que citoyen du monde ou membre d’une communauté ethnique ou religieuse. Les jeunes se sentent aussi d’abord solidaires des gens proches de chez eux : « Il y a encore beaucoup trop de guerres dans le monde, récemment j’ai vu des images sur la guerre au Soudan sur Instagram. Cela m’a interpellé, mais on ne peut pas se sentir concerné par tout. Ici ce sont des drames qu’on ne ressent pas vraiment. »
Cette tendance peut s’expliquer de plusieurs manières qu’il serait intéressant de creuser. Tout d’abord, le « moi d’abord » est devenu audible, dans nos sociétés où la parole est désormais libérée, où chacun, jeune ou adulte, peut s’exprimer publiquement et sans trop de contrainte. Ensuite, le repli des jeunes sur eux-mêmes peut aussi s’expliquer par un climat de plus en plus anxyogène dans lequel ils·elles évoluent. Crises économiques, climatiques, sanitaires, guerres, corruption… Ce monde tel que présenté peut faire peur et pousser à s’accrocher à ce qui est proche, positif, bienveillant. Dans ce climat, les discours simplistes, largement relayés auprès des jeunes, peuvent avoir la cote en permettant de raccourcir un phénomène complexe en « un problème – une cause – une solution ».
Ce qu’en disent les profs
« C’est ainsi mais c’est possible d’inverser la tendance »
Des enseignant·es consulté·es retrouvent leus élèves dans ce sondage. Ils confirment qu’il est possible d’ouvrir les jeunes au monde, mais en partant de ce qui leur est proche. Les jeunes doivent pouvoir s’identifier à partir d’un « je », puis montrer lui monter les différences et ainsi aller vers le global, et alors, l’image d’un jeune ado syrien avec sa maman ne sera plus « un autre lointain » mais « un jeune comme moi ». Il faut donner de la place aux émotions, à l’accroche émotionnelle, via des témoins par exemple. Les enseignant·es préconisent aussi une approche scolaire davantage transversale, avec des programmes scolaires décloisonnés et mieux connectés au monde. Enfin, il s’agit de favoriser encore plus le développement de l’esprit critique des jeunes et de les rendre acteurs de leur éducation, en les mettant en projet.
© Annoncer la couleur
© Annoncer la couleur
L’éducation à la citoyenneté mondiale
L’éducation à la citoyenneté mondiale dote les enfants et les jeunes de la sensibilité, des compétences et valeurs nécessaires pour apprécier notre humanité et notre planète partagée. Elle développe le respect et compréhension mutuelle et incite à agir pour un monde plus juste et plus durable.
« Il faut aborder des choses positives avec les jeunes, sortir du « monde en crise » »
En outre, les jeunes ne sont pas convaincus de leur pouvoir d’influence pour améliorer le monde : « À mon échelle, je ne vois pas ce que je pourrais faire pour changer le monde. En plus, les grands sujets sont mal expliqués. » Et cela se confirme avec leur niveau d’engagement : parmi des valeurs et qualités proposées, l’engagement ne séduit que 10% des jeunes. Ils s’engagent donc peu, et de manière assez passive : ils·elles peuvent mener une action sur internet (ex : signer une pétition) mais très peu s’engagent ou militent au sein d’une ONG par exemple.
Plusieurs éléments encourageants
Près de la moitié des jeunes (45%) sont tournés vers des valeurs collectives, de vivre-ensemble. Ils sont « disposés à » mais manquent parfois d’éléments déclencheurs leur permettant d’oser aller vers l’autre et/ou vers l’action. Cette tendance se retrouve dans leurs attentes vis-à-vis de l’école : ils·elles veulent apprendre des choses pour devenir une personne responsable (35%), ils attendent que l’école les ouvre au monde (29%) et qu’elle développe leur esprit critique (29%).
En outre, quand on les interroge sur des questions de société, les jeunes se positionnent clairement en faveur d’une non-discrimination (raciale, religieuse, sexuelle…), de la justice pour tous·tes et se sentent concerné·es par la question de l’environnement et du climat.
Redorons et la société, et les jeunes
L’expérience indique que les jeunes se sentent souvent submergés par les crises, les guerres, les catastrophes… Dans l’actualité, on met trop souvent l’accent sur des jeunes qui dysfonctionnent (incivilités, délinquance, problèmes liés aux jeunes issus de la diversité …). Or, il faudrait d’abord redorer l’image de la société dans laquelle on vit, « rendre de la valeur aux artisans de ce monde » et montrer l’importance des jeunes dans le futur de la société : leurs idées nouvelles dans le monde professionnel, leurs talents, leurs capacités spécifiques dans certains secteurs, leur implication dans la vie associative et dans le bénévolat, dans le sport et l’esprit d’équipe.
Florence Depierreux, coordinatrice du programme Annoncer la Couleur
Pour en savoir+
Rendez-vous sur le site du programme fédéral d’éducation à la citoyenneté mondiale : annoncerlacouleur.be
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