L’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire (ECMS) a pour objectif de construire des sociétés plus justes, durables, inclusives et solidaires par la conscientisation des citoyens sur les enjeux mondiaux et leurs actions, individuelles ou collectives.
ACODEV, la fédération francophone et germanophone des associations de coopération au développement, définit les missions de l’ECMS comme il suit [1] :
- Éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire : renforcer des changements de valeurs, attitudes et comportements ;
- Mobilisation citoyenne : renforcer la mise en action individuelle et collective ;
- Plaidoyer : influencer des décisions politiques en vue de changer les législations.
En Belgique, de nombreuses ONG sont actives en ECMS et participent à ces différentes missions. Parmi l’éventail de thématiques et secteurs de spécialisation, les crimes internationaux peuvent constituer un point de départ pour provoquer les questionnements souhaités par l’ECMS.
Pourquoi parler des violences de masse en classe ?
« Dans un monde marqué par la perpétuation des guerres et de la violence extrême, par la persistance des idées haineuses et une tendance au repli identitaire comme à la radicalisation, les acquis de la démocratie se révèlent fragiles. Il parait donc aujourd’hui essentiel de trouver des chemins de dialogue pour questionner ces enjeux et prévenir de nouvelles violences. Face à cette réalité, nous sommes convaincus que le travail de mémoire est une voie pour engager ce dialogue en apportant des clés pour parler des violences de masse passées et en tirer les éléments d’analyse nécessaires à la compréhension de notre société actuelle pour que les mécanismes qui ont été mis en œuvre au Rwanda, au Burundi, au Cambodge mais également en Europe ne puissent plus mener à de tels crimes », indique Noémie Grégoire, chargée pédagogique chez RCN Justice & Démocratie.
C’est un fait : le passé nous permet de mieux appréhender le présent et construire l’avenir. « Plus jamais ça ! », disait-on après les horreurs de la seconde guerre mondiale, soulignant la volonté collective d’apprendre du passé. Dès lors, il est du ressort de chaque citoyen, indépendamment du fait d’avoir été impliqué directement dans des violences ou non, de comprendre certaines périodes de l’histoire sans raccourcis ni amalgames et de perpétuer le travail de mémoire. Cela passe inévitablement par l’enseignement, dès le jeune âge et par l’accompagnement dans le développement de l’esprit critique.
Le témoignage, un outil fort pour l’ECMS
Plusieurs méthodes, toutes légitimes et complémentaires, permettent d’aborder les crimes internationaux sous l’angle de l’ECMS et de l’éducation à la mémoire en classe. Parmi elles figurent : la transmission de la pluralité des points de vue sur un conflit ; la transmission de valeurs telles que l’empathie, l’égalité, la justice, le dialogue et le respect ; l’établissement de liens avec le quotidien des jeunes, ainsi que les témoignages et les histoires d’espoir.
Cette dernière, le témoignage, permet de mettre en évidence une vision sur un conflit et de s’interroger sur son engagement et son positionnement en tant que citoyen. En effet, le travail de mémoire doit aussi pouvoir représenter une source d’inspiration pour les jeunes. Il ne s’agit pas uniquement de mettre en avant ce qu’il y a de pire en l’humain mais également de souligner des actes d’humanité dans ces violences ou de mettre en lumière des personnes qui ont choisi de ne pas céder à la haine voire qui s’y sont opposées. En se plaçant à l’échelle de l’humain, le témoignage permet de comprendre des réalités sociopolitiques souvent complexes sans pour autant assommer les jeunes avec des théories risquant de renforcer leur sentiment de culpabilité ou d’impuissance. Ces récits de vie permettent d’introduire de manière plus humaine la notion d’interdépendance et de complexité en éclairant les processus historiques qui conduisent aux violences de masse ainsi que les enjeux mondiaux tels que l’exil, la colonisation ou l’exploitation économique. Ces témoignages permettent également de découvrir des parcours d’engagement et de s’interroger sur son positionnement en tant que citoyen. Ils valorisent ce qui nous unit plutôt que ce qui nous divise et permettent d’imaginer des alternatives à la violence. Le caractère singulier de chacun des récits permet de transmettre des messages non pas normatifs mais habités par un vécu émotionnel et des expériences. Cela répond aux attentes des jeunes d’un message non moralisateur et valorisant des expériences positives.
Ses enseignements sont bénéfiques, à condition que l’intervention du témoin soit préalablement mise en contexte, qu’elle vienne en complément d’autres sources de transmission et que la personne soit choisie selon certains critères, en prenant soin d’éviter des discours empreints de haine, de rancœur ou de violence.
Plombieres, Belgium – November 1, 2021: Henri-Chapelle American Cemetery and Memorial. Many of the burial are from Ardennes winter offensive (Battle of the Bulge). Autumn rainy day. Selective focus © Maurizio Fabbroni – iStockphoto
A broken path at the Murambi Technical School in Butari, Rwanda where over 40,000 people were killed in the Genocide of 1994. The buildings stand as a memorial.shallow DOF on stones. © jordanchez – iStockphoto
L’émotion à la Haute école Thomas More à Malines
Le 21 octobre dernier, RCN Justice & Démocratie avait rendez-vous à la Haute école Thomas More à Malines. Au programme : une discussion avec des étudiants de deuxième année d’un bachelier en Intercultural Relations Management sur l’histoire du Rwanda et comment le passé du génocide est encore vécu aujourd’hui par les Rwandais et notamment la diaspora. Ils ont eu l’honneur de rencontrer un survivant du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994. Ce témoin ? Monsieur François-Xavier Nsanzuwera, ancien procureur à Kigali au moment du déclenchement du génocide, procureur au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) de 2003 à 2015, ancien président du Collectif de ligues et associations de défenses des droits de l’homme (CLADHO) au Rwanda, ancien membre du conseil d’administration de la Ligue belge des droits de l’homme et secrétaire général de la FIDH, actuel membre du comité d’administration de RCN Justice & Démocratie et chercheur associé au Groupe de recherche en droit pénal (GREPEC) à l’Université Saint-Louis.
Son introduction glace le sang : M. Nsanzuwera évoque le lourd bilan du génocide des Tutsi qui s’élève à 1.200.000 civils tués en 100 jours, fait historique et juridique indéniable reconnu par le TPIR. Ce tragique évènement crée encore à ce jour des polémiques concernant ses causes, ses auteurs et ses victimes. M. Nsanzuwera rejette cependant catégoriquement l’idée que ce génocide ait été spontané car il a été planifié et exécuté par une certaine élite extrémiste. Selon lui, les causes sont multiples mais la principale demeure : le refus du partage du pouvoir politique qui a été orchestré par une manipulation des citoyens par les dirigeants. Durant son intervention, l’ancien procureur au TPIR entremêle faits historiques et histoires personnelles, tantôt révoltantes, tantôt émouvantes, tantôt philosophiques. M. Nsanzuwera insiste à plusieurs reprises sur le fait qu’il n’y ait pas, dans l’histoire récente du Rwanda, une ethnie de bourreaux et une ethnie de victimes, même si le génocide a visé les Tutsi de façon systématique. Il n’y a pas non plus, déclare-t-il, de haine ancestrale entre les différents groupes. Son message est qu’aujourd’hui, le Rwanda, au-delà de son passé tumultueux, se reconstruit et la volonté de créer une identité nationale est bien là. C’est un travail à mener main dans la main avec les nouvelles générations. Son témoignage se voulait porteur d’espoir et de solidarité, notamment en invitant les étudiants à reconnaître les causes du génocide et à protéger les personnes de leur entourage ayant un lien proche ou lointain avec cette histoire ou ayant vécu d’autres types de violences.
L’intervention de M. Nsanzuwera terminée, un long silence s’installe. L’émotion est palpable chez tous les participants. Quelques échanges s’en suivent avec les étudiants, captivés par le témoignage qu’ils venaient d’écouter.
Les objectifs de cet échange en termes de transmission de la mémoire ont été atteints. La mise en contexte historique a permis aux participants d’acquérir certaines connaissances inhérentes à la compréhension du témoignage. Récit qui a suscité l’empathie, a transmis des valeurs de justices, de respect et de solidarité et a provoqué une réflexion chez les jeunes.
Rédigé par Laurence Dalcq, chargée de projet digital, RCN Justice & Démocratie
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