Joan Carling © Pilar Valbuena GLF
Considérée comme une terroriste dans son propre pays, Joan Carling lutte depuis des décennies pour la reconnaissance de la souveraineté indigène et la protection de l’environnement. Et les deux n’ont jamais été autant liés.
Le début de son engagement
Joan Carling a grandi dans les montagnes au Nord des Philippines. Dans son pays, les peuples indigènes représentent un sixième de la population, présents bien avant l’arrivée du colonisateur. Mais s’ils continuent de développer une culture qui leur est propre, celle-ci est régulièrement mise en péril. La jeune membre de la tribu Kankanaery n’a que dix-huit ans lors du meurtre de Macli-in Dulag, activiste opposé à un projet de barrage menaçant de déplacer 100 000 indigènes. Elle rejoint sans hésiter les protestations. Malgré de nombreux meurtres et arrestations, le mouvement parvient à stopper le projet, que la Banque Mondiale ne veut plus financer.
Depuis, Joan Carling a travaillé à travers treize pays d’Asie et s’est battue contre de nombreux projets miniers, hydrauliques ou d’agriculture intensive d’huile industrielle. Lorsque ceux-ci ont lieu sur leur territoire, les indigènes sont en effet forcés de quitter leurs terres ancestrales. Ces projets ne sont pas qu’une menace pour l’environnement : ils mettent en danger leur identité, intimement liée à leur lieu de vie.
Activiste menacée
À cause de son engagement, Joan Carling a été désignée comme terroriste dans son pays. Depuis, elle n’a pas pu retourner aux Philippines et craint pour la sécurité de sa famille. Mais, pour elle, pas question d’abandonner le combat. Car, dans le monde, des milliers d’indigènes sont aujourd’hui en prison à cause de leur engagement. Ils font face à des industries prédatrices, des gouvernements autoritaires et un racisme encore très répandu issu de la période coloniale.
En Asie, Amérique ou Afrique, le colonisateur voyait en effet les peuples premiers comme des ethnies primitives qu’il fallait assimiler ou folkloriser, sous prétexte de les « éduquer » ou les « développer ». Aujourd’hui, ce racisme persiste encore : leur vision du monde est vue comme inférieure et la discrimination est monnaie courante. Ainsi, quand la tribu de Joan Carling lutte contre les projets de mines d’or risquant de polluer leur terre, ses membres sont vus comme opposés au développement. Mais, pour eux, il s’agit surtout de porter une autre vision du monde, capable de contribuer à la construction de la société à venir. Une société où primerait le bien commun, la solidarité, le respect de la nature, la notion d’équilibre et le rejet des logiques de consommation.
La « nature », c’est d’abord une construction sociale.
Pour l’Occident industrialisé, c’est l’idée d’un bien au service de l’Homme. Cette construction est accompagnée d’une façon de faire (la plantation à vaste échelle, rendue à l’époque possible par la colonisation), mais aussi d’une vision du monde qui a perduré après la décolonisation : les peuples du Sud sont restés enfermés dans une économie d’extraction et de monocultures prédatrices pour l’environnement. Son pendant, l’écologie coloniale, n’interroge pas le rapport à la terre ou les logiques de domination : on y réfléchit surtout à la protection de la nature par la préservation de zones « sauvages », vierges de toute population. L’écologie décoloniale, quant à elle, propose de comprendre les rapports de prédation – sur les Hommes, la nature – afin de porter une autre manière d’habiter la terre, sans menacer ou dominer l’autre.
Faire entendre sa voix
De l’Arctique au Pacifique, les peuples indigènes représentent 5% de la population mondiale. Champions de la préservation de la nature, leurs territoires abritent 80% de la biodiversité de la planète. Au Brésil, par exemple, leurs réserves sont un rempart important contre la déforestation de la forêt amazonienne. Aujourd’hui, leurs nombreux savoirs sont inestimables pour organiser la résilience face au changement climatique (et c’est le GIEC qui le dit !).
Pourtant, ces peuples sont rarement consultés lors de projets de conservation de la nature sur leur propre territoire. Pire : ils y sont parfois chassés ! Ils sont également absents de la plupart des événements nationaux et internationaux sur le changement climatique. Lauréate du prix Champions de la Terre de l’ONU, Joan Carling revendique pourtant activement l’importance d’impliquer dans les processus de décision les indigènes, à la fois victimes, résistant·es et acteur·trices de la lutte pour la préservation de l’environnement.
Alix Buron, chargée de communication à la Fucid
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