Accès au mémorial national aux victimes du génocide à Kigali, Rwanda, Afrique. © karenfoleyphotography – iStock
Claude Muhayimana est un homme franco-rwandais [1] qui travaillait comme chauffeur dans un hôtel à l’ouest du Rwanda lors du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994. Il est accusé d’avoir transporté des miliciens Interahamwe vers divers endroits où des massacres ont été perpétrés. Ces miliciens ont été les principaux bras armés du régime hutu au pouvoir durant le génocide.
Le procès de Claude Muhayimana était prévu en France en ce mois de février 2021. Il a été reporté en raison des difficultés des témoins à se présenter au tribunal à cause de la crise sanitaire. Ce procès est le troisième en France pour des crimes liés au génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 [2].
Pourquoi la France juge-t-elle des crimes ayant eu lieu au Rwanda ?
En temps normal, les pays peuvent juger les crimes commis soit sur leur territoire, soit si l’auteur ou les victimes sont ressortissantes de ce pays. Mais pour les crimes les plus graves – crimes de guerre et crimes contre l’Humanité – une exception est faite. Grâce à la compétence universelle, des pays tiers [3] ont le droit et le devoir de poursuivre des auteurs présumés de crimes graves peu importe le lieu du crime ou la nationalité de l’auteur présumé ou des victimes. Cette compétence a été créée pour lutter contre l’impunité dans des situations d’instabilité voire de crise politique pendant lesquelles l’accès à la justice n’est pas garanti.
C’est sur base de cette compétence universelle que le procès de Claude Muhayimana est prévu en France [4].
Et en Belgique ?
En Belgique, la compétence universelle est en application depuis 1993 pour les crimes de guerre et crimes contre l’humanité. En 1998, la loi a été modifiée pour s’étendre au crime de génocide. Depuis, cinq procès ont déjà été tenus en vertu de cette compétence. Le dernier, celui de Fabien Nereste, date de décembre 2019. Il a la particularité d’être le premier dans lequel les juridictions belges ont retenu la qualification de « génocide » dans les chefs d’accusation.
[1] Réfugié en France, Claude Muhayimana a obtenu la nationalité française en 2010.
[2] Il y a d’abord eu celui de Pascal Simbikangwa, condamné en appel à 25 ans de prison pour génocide et complicité de crime contre l’humanité en décembre 2016, et celui de Tito Barahira et Octavien Ngenzi, deux anciens bourgmestres, qui avaient été condamnés en appel à la prison à perpétuité en juillet 2018 pour génocide et crime contre l’humanité.
[3] Des pays qui ne sont pas directement impliqués dans ces crimes car ils n’ont pas eu lieu sur leur territoire, les auteurs ou les victimes ne sont pas ressortissants de ces pays.
[4] En France, la compétence universelle est régie par le code de procédures pénales, article 689, 11e alinéa. La loi n° 96-432 du 22 mai 1996 ajoute le crime de génocide à la compétence universelle. Par cette loi, la France s’engage à poursuivre les crimes qui auraient dû être jugés par le TPIR (à la demande des Nations Unies).
“Grâce au projet de RCN Justice & Démocratie, nous avons pu suivre l’information sur les procès qui se passent ailleurs dans le monde et par là comprendre que nous ne sommes plus seuls dans la poursuite des génocidaires, le monde entier est avec nous.” — Participant aux séances d’information dans les zones affectées
© Photo Nyakarenzo – Ruzizi
Qu’en pensent les Rwandais·es ?
Lorsqu’un procès sur base de la compétence universelle a lieu dans un pays tiers, les autorités au Rwanda demandent généralement l’extradition de l’accusé. En vertu du principe de la souveraineté des Etats, les pays tiers sont libres d’accorder ou de ne pas accorder l’extradition. Les pays comme la Norvège, le Danemark et les Pays-Bas ont déjà extradé des accusés vers le Rwanda. D’autres pays comme la Belgique, la France ou le Royaume-Uni préfèrent juger que d’extrader. Le principal motif des refus d’extradition est l’acquisition de la nationalité du pays tiers par les accusés. Certains pays considèrent également que l’extradition vers le Rwanda pourrait comporter le risque d’entrave au droit à un procès équitable. Dans le cas du procès de Claude Muhayimana par exemple, l’extradition n’était pas possible. Ayant obtenu la nationalité française en 2010, la constitution empêche d’extrader un national. Il est donc jugé en France.
Dans ces cas de refus d’extradition, le Rwanda demande alors au pays tiers de procéder au jugement de l’auteur présumé. Avec les procès tenus récemment, notamment le procès de Fabien Neretse et les deux procès tenus en France, les autorités rwandaises ont exprimé leur satisfaction quant aux résultats. Il en va de même pour IBUKA, la principale organisation des victimes du génocide des Tutsi, qui aimerait voir les auteurs présumés être jugés au Rwanda mais qui est également satisfaite de voir les procès aboutir dans certains pays tiers.
Au niveau de la population, le système juridique (inter)national est méconnu. La population se demande souvent pourquoi les auteurs présumés sont jugés à l’étranger. Une deuxième interrogation qui persiste est la question de l’impunité. Lors des procès jugés au Tribunal Pénal International pour le Rwanda (1994-2015), certains auteurs présumés, considérés par le Rwanda comme ayant joué un rôle dans la planification du génocide, ont été innocentés. A l’étranger, certaines personnes condamnées par le TPIR ont été libérées avant l’expiration de leurs peines. Dès lors, il existe, au sein de la population rwandaise, un sentiment de méfiance chez certaines personnes qui se demandent si la tenue des procès à l’étranger ne serait pas un moyen de favoriser l’impunité.
Ainsi, lorsqu’un procès est organisé, RCN Justice & Démocratie et ses partenaires vont à la rencontre des populations affectées, c’est-à-dire les populations vivant dans les zones où les crimes ont été perpétrés, des villages d’où proviennent les auteurs de crimes ou bien encore, des régions où les auteurs de crimes sont passés. En bref, les personnes qui ont été le plus directement touchées par les crimes commis. RCN Justice & Démocratie informe et sensibilise les populations aux mécanismes juridiques (notamment à la compétence universelle) afin qu’elles comprennent le déroulement des procès. De plus, RCN Justice & Démocratie travaille avec les médias en facilitant la diffusion de l’information émanant du lieu du procès vers les populations affectées.
« Grâce au projet de RCN Justice & Démocratie, nous avons pu suivre l’information sur les procès qui se passent ailleurs dans le monde et par là comprendre que nous ne sommes plus seuls dans la poursuite des génocidaires, le monde entier est avec nous » (participant aux séances d’information dans les zones affectées)
Rédigé par Hélène Pochet, adjointe pédagogique RCN J&D
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